Sexe, drogues, orgies et violence : DWAIN ESPER vous révèle tout !

Publié le par Ludo Z-Man

Il est temps, mes frères, de prendre conscience que nous fonçons dans une impasse. Le mal est partout. Le cinéma nous aguiche de ses multiples atouts sulfureux, de l’écran de nos salles glauques émanent des parfums capiteux qui attire le spectateur innocent. L’attirance malsaine pour la débauche et la violence, les zombies cannibales et les pin-up voluptueuses nous guette à chaque instant et peut à tout moment s’emparer de vos proches, de vos frères, de vos enfants… OU DE VOUS !!!! Heureusement, même dans le monde dépravé du cinéma bis, il fut des gens censés, prenant leur courage à deux mains pour nous avertir des dangers terrifiants qui nous guettent.

En 1936, alors que l’Amérique est en pleine hystérie anti-drogue, un groupe religieux décide de produire un film éducatif de prévention contre la consommation du cannabis chez les jeunes. Le titre initial, Tell Your Children, explicite la volonté d’alerter les parents et les adolescents américains de ce grave péril. C’est un français parti faire carrière à Hollywood vingt ans avant qui héritera de la réalisation de ce film : Louis Gasnier, dont c’est à vrai dire le seul titre de gloire et qui ici ne fait guère preuve d’un grand talent(1). Mais peu importe, c’est pour la bonne cause : il faut faire peur au spectateur, la marijuana, ça peut lui tomber sur le coin de la gueule à n’importe quel moment. Le film commence sur le mode du documentaire, avec un long discours tenu par le principal d’un établissement scolaire voulant avertir les parents que leurs gosses, bien que purs et innocents, peuvent devenir des fumeurs du jour au lendemain. Le danger est partout, et on le prouve avec de nombreuses images d’archives : le cannabis se cultive partout et les trafiquants redoublent d’inventivité pour cacher et transporter l’herbe maudite. Mais afin de bien éveiller les consciences, le principal décide de nous raconter une histoire aussi tragique qu’édifiante : le film peut alors vraiment commencer. Mae et Jack sont un couple de méchants dealers qui débauchent les gentils étudiants pour les aider à vendre leur herbe. Les jeunes gens sont conviés à des parties privées et enfumées où ils sont initiés à la petite cigarette qui rend heureux. En effet, à peine avoir tiré une ou deux fois sur le joint, tout le monde se met à se marrer hystériquement et même à se réfugier dans la chambre d’à côté pour batifoler. Lors d’une de ces fiestas, Jack demande à l’un des jeunes gens, Jimmy, de l’accompagner en voiture pour lui rendre un service. Et là, c’est le drame : ce dernier, complètement stone, renverse un passant qui traversait hors des clous (le con !) pendant le trajet. Pendant ce temps, Bill, le pote de Jimmy s’ébat joyeusement avec une jolie fille, dans la propriété de Mae et Jack. Manque de pot, sa petite copine rapplique et demande à le voir. Afin de la faire patienter, un des invités offre un petit pétard à la fille, qui du coup se met à rire bêtement, ce qui est toujours bon signe. Il tente alors de la violer. Et la c’est le drame (bis) : Bill arrive et voit sa copine en train de fricoter avec un autre. Une bagarre se déclenche et Jack vient les menacer avec son arme. Un coup part. La fiancée de Bill est tuée sur le coup. Moralité : le joint, ça tue ! Didactique et moralisateur en diable (notamment lors des horribles scènes de procès) Tell Your Children enfonce le clou en caricaturant à fond les effets du shit : les crises d’hystérie du personnage du violeur qui sombre peu à peu dans la folie meurtrière et finit à l’asile, sont assez hilarantes. Misant sur les effets dramatiques les plus choquants, il ne se prive pas non plus de punir les méchants : après s’être dénoncée pour faire innocenter Jack, une jeune fille se suicide en se jetant par la fenêtre. Ca pourrait tout à fait être votre fille, votre fils ou vous-même, alors avertissez vos enfants !!!!


Sidéré par la puissance étourdissante de ce film, Dwain Esper en acquiert les droits et le redistribue sous un autre titre, celui sous lequel il passera à la postérité : Reefer Madness. Il faut alors bien comprendre ce qui intéresse ce vieux roublard d’Esper dans un tel film. Dans les années 30, Hollywood décide de se racheter une conscience. En effet, dans les films les réalisateurs se lâchent de plus en plus (aussi bien Von Stroheim, le pervers sadien, que Cecil B. De Mille, le puritain) et de nombreux films de cette époque affolent la censure. Réputée être une nouvelle Babylone, Hollywood traîne une réputation sulfureuse entachée par quelques troubles affaires de mœurs dont certaines briseront des carrières. Des la fin des années 20, on constitue un code de production des films destiné à bannir les sujets inappropriés. Sous la pression des ligues de vertus, c’est un prêtre jésuite qui rédige la première version du code. La période fin des années 20-début des années 30 est, il faut le rappeler paradoxalement très permissive : certains films emblématiques de cette époque sont devenus des classiques comme Morocco, Scarface ou King Kong. C’est en 1934 sous la direction de Will Hays, que le code se renforce en établissant la notion de moralité des films. C’est le célèbre code Hays qui fit rallonger les tenues sexy de Jane, la fiancée de Tarzan. C’est pourtant dans ce contexte que le cinéma d’exploitation d’un Dwain Esper va apparaître. En effet, Esper se place volontairement dans les camps des défenseurs de la morale en produisant des films éducatifs, censés remettre ses spectateurs dans le droit chemin. Le public adulte, à qui ses films sont destinés, est pourtant attiré par toute autre chose. Esper ne se prive pas de jouer sur l’ambiguïté d’un spectacle qui ose alors braver les interdits du code Hays. Avec ses jeunes américains modèles avides de drogues et de sexe, ses films se parent alors d’une aura scandaleuse.

Esper s’attaque assez tôt au sujet de la drogue avec Narcotic en 1932. Il y revient en 1936 avec Marihuana, the devil’s weed, bâti selon un principe qui a fait ses preuves. Après un texte introductif censé nous avertir que le film que nous allons voir parle d’un problème extrêmement grave, ça commence comme une bluette entre jeunes gens insouciants (et sages : pas de sexe avant le mariage !). Mais vu qu’il y a toujours un méchant dealer prêt à sauter sur nos ados, nos deux tourtereaux se laissent entraînés dans une fête décadente : l’alcool y coule à flot et le oinj circule. Tout le monde s’amuse : le clou du film restant le moment ou un groupe de filles, particulièrement guillerettes, décident d’aller faire un bain de minuit. S’ensuit alors un défilé de jeunes filles dénudées et hystériques, ce qui réjouit les garçons : on se croirait dans un nudie. Seulement, l’une des filles, sans doute trop défoncée, finit par se noyer. C’est à partir de ce moment que Marihuana devient un gros mélodrame édifiant. La suite est complètement abracadabrante : les deux héros, sous l’effet du shit, sont pris d’une irrépressible envie de folâtrer. Et là c’est le drame (ter) : la jeune fille tombe enceinte. Après, c’est n’importe quoi : renié par sa famille, le fiancé donne dans le trafic de drogue et se fait flinguer par des flics tandis que la fille est forcée d’abandonner son enfant. Le méchant dealer la drogue pour la garder sous son aile. Elle mourra d’une overdose après avoir kidnapper la fille adoptive de sa propre sœur qui se révélera, en fait, être son enfant. Tu la sens, l’émotion qui vient ? Le plan final de la pauvre maman morte devant sa propre fille est complètement hilarant, puisque des joints pleuvent sur son cadavre tandis que le THE END apparaît !!! Il fallait oser ! Toujours plus crasseux et racoleur, Esper signera en 1938, Sex Madness ou il s’attaque au douloureux problème de la syphilis avec la finesse d’un éléphant courant à toute allure. Labellisé « Adults Only », Sex Madness se permet tout et n’importe quoi : émoustiller le spectateur dans un premier temps, avec des séquences ou des jeunes gens de bonne famille vont s’encanailler dans des cabarets burlesques, une incursion dans les loges des danseuses, une séquence de séduction lesbienne. Puis le message du film arrive en force : une pauvre danseuse se laisse manipuler par un type qui la séduit. Elle trompe son copain avec lui et contracte une maladie. Soignée par un étrange docteur, elle rentre chez elle pour épouser son fiancé, dont elle va avoir un bébé. Manque de pot, le toubib était un charlatan : son enfant tombera gravement malade et son mari finira aveugle. Images d’archives peu ragoûtantes, coupures de journaux et statistiques alarmistes : Esper ne recule devant rien et assimile tout et n’importe quoi, comme dans cette scène ou un pervers traque une gamine dans la rue pour la violer. Le mal est vraiment partout.


Cinématographiquement désastreux, ces films n’en possèdent pas moins une réelle valeur documentaire, donnant à voir un certain témoignage de la jeunesse américaine de l’époque. On y croise des images insolites et inhabituelles, dont la singularité est accentuée par l’aspect amateuriste et marginal de ses productions. Même si ces films se fourvoient dans un discours violemment réactionnaire et ouvertement puritain, ils demeurent étrangement transgressifs pour leur époque, de même qu’ils posent la question de l’ambiguïté morale et idéologique qui est l’un des paradoxes les plus évidents du cinéma d’exploitation. Marihuana ou Sex Madness sont les ancêtres des films de propagande (les educationnal-movie ou les hygiène–movie tel le fameux Mom and Dad sur la sexualité des adolescents) qui pulluleront sur les écrans des années plus tard, de même qu’ils annoncent les mondos, ces documentaires bidonnés et racoleurs qui apparaîtront dans les années 60. Le plus troublant reste que certains de ces films eurent une seconde carrière : Reefer Madness reste l’exemple le plus spectaculaire puisque, longtemps perdu et tombé dans le domaine public, le film fut retrouvé en 1971, et devint un classique sur les campus et dans les projections de minuit, qui en firent un hymne à la consommation de cannabis. Reefer Madness deviendra même une comédie musicale, montée avec succès à Broadway et adaptée à la télévision en 2005.


Heureusement, donc, la morale n’était pas sauve.  

 

(1)    Le bonhomme revient en France en 1933 pour filmer Louis Jouvet dans l’adaptation de Topaze, la pièce de Marcel Pagnol.

“We must save our nation from decay, and deliver our children from the horrors of perversion.” Sous prétexte de sauver l’Amérique, George Putnam nous présente sa collection de magazines coquins dans ce très rigolo Perversion for Profit (1965).

Publié dans série bis

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Diane Webber (Sunbath)
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