ILS de David Moreau et Xavier Palud (2006)

Publié le par Ludo Z-Man

C’est très en retard (il faut dire que cet été je ne me suis que très peu déplacé dans les salles) que j’ai pu découvrir le long métrage du duo de réalisateurs français qui tentait à nouveau le challenge du cinéma de genre à la française, ici sur le terrain de la peur brute, intention revendiquée par les cinéastes. Je ne vais pas vous infliger encore une fois le couplet sur le fantastique français mais notons ici qu’il s’agit d’un film à petit budget tourné en vidéo et sans stars (Olivia Bonamy, bien que connue, n’est pas à proprement parler une vedette porteuse ou bankable). La campagne de promotion jouait d’ailleurs ouvertement la carte du mystère et de l’OVNI cinématographique. Bonne option au final, tant Ils se démarque par la simplicité ultra-basique de son pitch : un couple attaqué dans sa propre maison. Et ça dure 1h20. C’est tout ? Oui ou quasiment. Mais après tout souvenons-nous du Duel de Spielberg ou même du Halloween de John Carpenter dont la narration confinait à l’épure. Pourtant, ce sont des modèles du genre. On y va alors en se disant que la banalité de l’argument n’exclu en rien l’ambition cinématographique.

 

Ca commence par une scène d’ouverture qui se veut à l’image du film : sèche et brutale. Une femme et sa jeune fille ont un accident de voiture et se retrouvent seules sur une route déserte. On sait qu’on est dans un film d’angoisse et le pire est à prévoir. Et donc la tension monte rapidement. La mise en scène colle au point de vue de la jeune fille. L’angoisse viendra du hors champ crée par un contrechamp absent ou fermé (le capot ouvert de la voiture empêche de voir ce qui se passe à l’extérieur). Pourtant, et je ne m’y attendais pas (sans doute à cause du choix de la vidéo), le film est en Scope et donc joue ouvertement la carte de la claustrophobie et du confinement de l’espace malgré l’écran large. Cela dit, le cadrage reste classique, avec pour le coup prédominance du gros plan (cadrage serré et dramatique de le visage de la jeune fille terrifiée). Conçue comme un électrochoc, la scène fait tout de même son petit effet. L’atmosphère anxiogène pointe son nez. C’est bon signe. En fait, de manière somme toute assez classique, cette ouverture agit comme un condensé de tout le film. Générique. Deux choses : d’abord on nous dit que le film que nous allons voir est « inspiré de faits réels ». Ah ah ! Il faut savoir un truc : dans le cinéma de genre, ce carton là n’a pas exactement la même fonction que dans un film classique dans le sens où cette affirmation est référencée à d’autres films d’épouvante qui l’utilisaient de manière plus ou moins douteuse. Exemple type : Massacre à la tronçonneuse, vaguement inspiré des crimes d’Ed Gein, mais qui nous présente comme vraie une histoire totalement fictive. Récemment, dans le même genre, on a vu Wolf Creek qui, dans une démarche similaire à Ils jouait la carte du fait divers jusqu’au bout. It’s NOT only a movie, pour détourner l’accroche d’un film de Wes Craven. A l’inverse, Rob Zombie, dans Devil’s Rejects, se moquait de cette accroche « faits authentiques » au point d’en faire volontairement un artifice : c’était rigolo parce qu’on nous disait « c’est du vrai » et la mise en scène, entre citation et parodie, nous hurlait : « c’est du bidon ! ».

 

Le problème dans Ils, c’est que ce partis-pris lourdement asséné sert aussi à donner un sens au dénouement du film, la pirouette finale n’existant que par et pour cette irruption du réel. Je ne vous dévoilerai pas la fin, évidemment, mais sa forme est des plus classiques avec même des textes explicatifs à l’écran, en guise d’épilogue sur le dernier plan. Ce qui est étrange, c’est que le film a du coup été vendu comme un Blair Witch français. Ce qui frappe pourtant, c’est à quel point la forme et même la narration se refuse à toute forme de pastiche de la forme documentaire (invalidant en fait la comparaison avec Blair Witch). On est dans un film de genre, extrêmement codifié et à l’approche somme toute très classique. D’un point de vue narratif, on a la scène d’intro choc, puis une (trop ?) longue exposition afin d’installer une forme d’empathie avec les personnages puis l’assaut commence et on entre dans le vif du sujet. On est en terrain connu. La mise en scène, elle-même, assume les caractéristiques visuelles de l’image vidéo (on ne cherche pas à faire joli) mais se veut classique, avec des cadres composés et des mouvements de caméras travaillés. On remarquera aussi que la lumière est toujours travaillée, car ce n’est pas l’aspect brut et rugueux de l’image qui va structurer la mise en scène. Dans la première partie (car il y a clairement deux parties), une fois la maison plongée dans l’obscurité, on assiste à un jeu sur les ombres, les irruptions et apparitions de silhouettes (présence suggérée par une bande son saturée de bruits mais toujours utilisée de manière très réaliste en fait), et travail sur le flou ou l’opacité des textures : un écran neigeux de télévision ou des bâches en plastiques qui obstruent le champ. On ne verra donc jamais les ennemis… en tous cas, jusqu’à l’épilogue.

 

Deuxième partie : la fuite. On quitte le principe du confinement progressif de l’espace pour une escapade à l’extérieur de la maison. La caméra à l’épaule est alors privilégiée et aboutit sur un final étouffant, nettement plus abstrait aussi, jouant pour le coup avec une lumière brute et un grain très prononcé, accentuant le style crade de l’image. C’est audacieux par rapport à ce qu’on a vu depuis le début du film et ça fonctionne, ce qui fait que l’apparition des assaillants met mal à l’aise, et de plus, il y a une jolie rupture sur le plan final (le dernier avant l’épilogue). C’est basique mais ça marche. Pourtant, le film a du mal à maintenir cette tension tout au long de ses 80 minutes (le passage dans la forêt m’a personnellement fait un peu décroché) et l’épilogue, vous l’aurez compris, m’a laissé perplexe. En fait, Ils est pris entre des partis-pris très forts à tous les niveaux (le choix d’un sujet minimaliste, son format vidéo, sa mise en scène qui se veut très travaillée) et des concessions à un traitement classique de son sujet, se refusant à faire du film un objet conceptuel peut-être trop âpre ou ardu d’accès pour un certain public. Pourtant, on ne peut pas dire que les deux cinéastes s’inscrivent dans une démarche opportuniste : il y a quelque chose de très franc dans leur manière d’aborder le genre. On est loin des douteux essais de la collection Bee Movies dans laquelle la pauvre Bonamy était allée se vautrer (Bloody Mallory). Ce qui ressort d’un tel film, pour moi, c’est que faire du fantastique à petit budget est possible en France. Ce serait bien de s’engouffrer dans la brèche.

Publié dans série bis

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E
Pour pa part, j'avais trouvé ce film plutôt bien ficelé et assez prenant, notamment grâce à ses parti pris esthétiques. J'en ai fait une critique sur mon blog autourn otamment de la notion de littéralité. En tous cas, votre critique est tout à fait intéressante!
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L
Merci à toi !