BEYOND THE VALLEY OF THE DOLLS (LA VALLEE DES PLAISIRS) de Russ Meyer (1970)

Publié le par Ludo Z-Man

Parce qu’il fallait bien que je m’y colle un jour !

Et on commence par la Youtuberie du siècle :

Cinéaste complet, tendance do it yourself, Russ Meyer vit au début des années 70 une brève parenthèse dans sa carrière où il va travailler pour un grand studio, en l’occurrence, la Fox. Il vient de faire Vixen : le film a fait sensation, car il a été classé X mais a rapporté en contrepartie beaucoup d’argent. Le partenariat de Meyer avec la Fox ne durera pas longtemps (à peine deux films) et il partira faire Supervixens tout seul. Pourtant, au début, on lui laisse toute liberté pour signer une sorte de suite du Valley of the dolls de Mark Robson, adapté d’un best-seller de Jacqueline Susann et qui décrit de manière très morale les mésaventures de trois jeunes filles emportées dans le tourbillon du monde décadent du show-biz. Dans une démarche à la lisière de l’exploitation, la production alloue à Meyer un large budget (un million de dollars), le plus gros dont il bénéficiera tout au long de sa carrière. Et Russ ne se le fait pas dire deux fois ! Il s’empare du sujet et livre sa version, soutenue par un script signé du journaliste critique de cinéma Roger Ebert (très célèbre aux Etats-Unis, à côté de Russ sur la photo du haut). Le résultat est une œuvre extrêmement personnelle qu’on peut en quelque sorte considérer comme l’un des film-sommes de son auteur. Ce qui me sidére à chaque fois que je le vois, et qui me fait profondément jubiler, c’est cette impression de folie progressive qui gagne le récit et qui finit par le faire exploser. Meyer se permet tout et même si on sait que le film n’a sans doute pas échapper aux ciseaux des dirigeants de la Fox (la version que nous connaissons reste, malgré tout, merveilleuse), un film comme ça ne pourrait exister aujourd’hui quitte à faire grincer quelques dents (1). Pourtant, il a aussi quelque chose de délicieusement désuet, et qui lui confère ce charme commun à tous les films de Meyer.

 Les vingt premières minutes du film sont incroyables. Il serait injuste, pour ceux qui ne le connaissent pas, d’en dévoiler tout le contenu, ne serait-ce que ce générique de début incroyable, inconcevable, génial, précédé de son carton « Attention, ceci n’est pas une vraie suite de Valley of the Dolls », et effectivement il est déjà bien au delà !  L’histoire est pourtant toujours la même : Kelly, Casey et Petronella débarquent à Los Angeles dans l’espoir de trouver la gloire. Elles forment un petit groupe, les Kelly Affair, et aimeraient se faire connaître. Let’s make love ! Here ? No, in L.A !” Voilà pour le programme ! Et du cinéma aussi ! Parce que ce film est dingue. Cadré dans un Scope magnifique, le sens visuel du Meyer explose à chaque coin de plan. Le plus impressionnant, c’est le montage, un découpage hallucinant, ultra-rapide, toujours inventif. Dans une scène anodine, il se passe quinze choses en même temps. Les ellipses sont géniales, avec cet intermède ahurissant où en voix off, Kelly et son copain dialoguent, tandis que se succèdent à l’écran un plan par réplique, avec des métaphores, des contrepoints et des blagues ou des jeux de mots plus ou moins vaseux. On note aussi l’emploi fréquent dans le film du flash-forward (en plus du générique) qui crée un effet de répétition comme dans les dialogues où des répliques sont reprises par un personnage différant de celui qui l’a prononcé la première fois (I’d like to strap you on sometime !). Une fois arrivé à Los Angeles, on se rend compte qu’il n’y pas de personnages principaux dans le film. Le film entremêle les trajets des personnages, comme un ancêtre délirant des films d’Altman. Tous nous sont présentés lors d’une scène de fête absolument incroyable où apparaît le personnage masculin le plus génial de toute la filmographie de Meyer (mieux encore que celui du flic psychopathe et impuissant incarné par l’immense Charles Napier dans Supervixens), l’incommensurable Ronny Barzell, alias Z-Man Barzell, producteur de musique démiurge et excessif, bisexuel hédoniste et décadent, à mi-chemin entre le comte Dracula et Phil Spector, le célèbre papa du Wall of Sound et de la pop des sixties, dont Roger Ebert prétendait s’être inspiré (tout en confiant qu’il ne l’avait jamais rencontré, ni même ne savait à quoi il ressemblait, mais pouvait-il imaginer que, trente ans après, ce dernier allait se retrouver à la page « fait divers » des tabloïds, accusé du meurtre d’une starlette assassinée dans son manoir !!!), bref, un personnage mythique, incarné par un génie John Lazar, acteur à la carrière obscure et très Z (on l’avait recroisé dans L’attaque de la bimbo géante de Fred Olen Ray), à jamais marqué par ce rôle dément.

 

 

Le casting, parlons-en d’ailleurs, car on le sait, le cinéma de Russ Meyer tout entier est aussi une déclaration d’amour aux femmes, femmes plantureuses, vénéneuses, séductrices, généreuses. Et c’est peu dire qu’elles sont ici sublimes, érotisées, magnifiées avec toute la flamboyance que se permet Meyer dans ce film. Inoubliable Cynthia Myers, douce Casey : l’une des plus belles Meyergirls, la plus émouvante, la plus sensuelle, avec ses grands yeux noirs et intenses, son regard si innocent et si brûlant qu’on s’y perdrait.

 

Voluptueuses et généreuses, comme le film d’ailleurs. Mélange de genres insensé, on y passe sans crier gare du mélodrame au film d’horreur, du drugsploitation au soap-opéra, de la pochade graveleuse à la comédie musicale. La musique de Stu Phillips est un vrai bonheur, parce que jamais parodique dans son style, mais préférant la fusion des styles. Elle est d’ailleurs admirablement utilisée et intégrée tant dans les séquences musicales que dans les moments dialogués. C’est pop, c’est groovy, c’est psychédélique. Kistch ou même naïf quand Petronella et son petit copain, entre deux pétards, courent au ralenti dans les champs et font l’amour dans la paille ? Incroyablement trash, d’un mauvais goût franchement limite quand Meyer glisse un gag sonore sur une scène tragique (j’avoue être toujours plié de rire quand j’entends le bruit d’avion au moment du suicide de Harris) ou balance des vannes sur Hitler ? Féroce dans sa description d’un monde du show-biz terriblement superficiel et obsédé par les apparences. Et pourtant témoignage particulièrement saisissant d’une certaine époque, de son esprit, de son esthétique. Entre l’ode frénétique (on sent la caméra de Meyer fascinée par tant d’exquises décadence) et la satire impitoyable, le film se taille un chemin de plus en plus tortueux, de plus en plus imprévisible jusqu’au final halluciné et hallucinant, orgiaque et terrifiant ou un Z-Man shakespearien fait jaillir « le sperme noir de la vengeance » !. Plus que provocant, Beyond the valley of the dolls incarne le versant noir et violent du cinéma de Meyer. Son regard n’est plus innocent, au-delà de la vallée des poupées, car entre temps, Sharon Tate (l’une des trois filles du film originel de Mark Robson) est massacrée par les disciples de Charles Manson, carnage auquel le script de Ebert fait une référence explicite. C’est la fin des années « peace and love ».

Et pourtant, le film semble tout entier porté par une morale explicitée à la fin en forme de happy end aussi too-much que le reste du film (trois mariages d’un coup ! qui peut rivaliser ?), une morale déroutante et pourtant évidente, désuète peut-être, mais surtout pas ringarde, témoignant d’une foi sincère en l’amour et la beauté des choses, de la vie même dans ses aspects les plus noirs. Au fond, un discours tout simplement étranger au cynisme ambiant de nos jours (2) et pour le coup incarné puissamment par un cinéma unique en son genre, généreux, charnel, foisonnant, festif, jubilant, jouissif, et donc précieux et inimitable. En France, les délires érotiques de Meyer étaient cantonnés aux circuits des salles pornographiques (le film était pourtant assez pudique en comparaison avec ses opus suivants comme le jusqu’au boutiste Up !), comme en témoigne les différents titres sous lesquels cette Vallée des plaisirs est sortie chez nous avec cinq années de retard : Hollywood Vixens et même Orgissimo ! Dans toute sa richesse, son exubérance et sa singularité, Beyond the valley of the Dolls ne peut être réduit au simple statut de sexploitation, mais apparaît comme une œuvre majeure du cinéma bis et un chef d’œuvre tout court !

(1)   Peut-on espérer un jour voir le montage initial ? J’avoue avoir peiné pour trouver des infos sur le sujet.

(2)   Ce même cynisme qui minait de l’intérieur un film comme Showgirls de paul Verhoeven.

Le film existe en DVD zone 2 chez FOX dans une édition cheap, sans même une bande annonce, mais la copie est belle. Un double DVD zone 1 est sorti, toujours chez FOX, avec des tas de bonus, un packaging coloré, avec une piste française mais sans sous-titres français, ce qui est bien dommage tant un Meyer se doit d’être savouré en VO.

Le film vu par Roger Ebert lui-même :

http://rogerebert.suntimes.com/apps/pbcs.dll/article?AID=/19700101/REVIEWS/708110301/1023

Le lien d’un fan qui raconte le film à sa façon (spoilers donc) : c’est très rigolo et on peut télécharger les sons du film.  Je lui ai fauché un peu d’iconographie.

http://fourfour.typepad.com/fourfour/2006/06/this_is_not_a_s.html

Meyer is still alive !

Preuve en est, le tube de l’été, c’est Pull Shapes, irrésistible ritournelle pop des Pipettes, girls band old school imparable. Je le confie, votre hôte est très faible quand il s’agit de pop retro, alors quand je vois trois belles nanas (surtout la brune) balancer leurs mélodies tout droit sortis d’un film de John Waters, le genre de tubes pour bal de fin d’année du lycée, avec les harmonies vocales à la Brian Wilson et tout et tout… je suis aux anges. Quand en plus les trois furies rendent hommage au grand Russ et à La vallée des poupées dans leur dernier clip, là je ne résiste plus. Profitez-en, ça passera peut-être pas l’été bientôt terminé mais c’est bon pour les oreilles.
Série Bis est festif aujourd’hui !

 

Publié dans série bis

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C
Note très juste sur ce film en particulier et sur le cinéma de Meyer en général, bravo ! J'aime beaucoup Russ Meyer et ce Beyond the valley of the dolls est un de ses meilleurs films. Je suis comme Pierrot, mon coup de foudre pour le cinéma de Meyer date du très cartoonesque Supervixens (Shari Eubanks n'a tourné que deux films, dont celui-là, et je suis encore tout émoustillé par son souvenir).
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D
Quel enthousiasme! ...Légitime car tu as bien raison de souligner que Meyer est un grand cinéaste et pas seulement le chantre de l'hypertrophie mammaire! J'aime beaucoup "Beyond the valley of dolls" même si, sentimentalement, je suis encore plus attaché au délirant "Supervixens" qui s'avère être le premier film que j'ai découvert du maître. Merci pour les critiques de cette qualité, on en redemande ;-)
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L
J'avoue que malgré mon affection pour ses films du bonhomme, je n'ai même pas vu la moitié de sa filmographie et je peine à trouver les films manquants ! <br /> Mudhoney passe à l'Etrange Festival cette année dans une copie en VO non sous-titrée.